Un matin d'automne, alors qu'il n'y avait encore que deux sources dans le village, se produisit un événement auquel assistèrent les pères des pères des pères de nos pères.
Le ciel était couvert comme lors des plus violents orages. Les dieux étaient en colère.
"C'est un mauvais jour pour la chasse" pensa Maïnis le tanneur, aussi décida t-il de s’atteler à cette peau que le druide Perlitas lui réclamait depuis maintenant trois jours.
Le cerf à qui elle appartenait avait été vaillant. Maïnis avait du user de toute sa connaissance de la traque pour parvenir à le retrouver. L’animal avait eu une belle mort ; de celle que l’on réserve aux ennemis qui furent honorables dans la bataille et fiers dans la mort.
Perdu dans ses pensés, Maïnis travaillait cette peau sans même y prêter attention. Ses mains effectuaient des gestes maintes fois répétés. A l’extérieur, l’orage grondait de plus en plus fortement et même si dans l’instant, aucune larme ne tombait du ciel, le tanneur était heureux de se trouver à l’abri, réchauffé par la pierre de son foyer.
C’est lorsqu’il plongea la peau de l’animal dans le grand bac pour l’humidifier qu’il se rendit compte qu’il était vide. Grommelant, il se résigna à sortir pour aller chercher l'eau à la source du Grand Saule.
Il n'y avait âme qui vive dans le village, chacun préférant rester chez soi plutôt que risquer de voir le ciel lui tomber sur la tête.
Alors qu'il arrivait à la source, il fût surpris par la scène qui s'offrait à lui, scène dont la violence n'avait d'égale que les rafales de vent qui couvraient tout éclat de voix.
Sianis, la fille de Grantix le Chef, subissait les assauts bestiaux d'un homme inconnu au village.
Chargeant tel un auroch et hurlant pour appeler à l'aide, Maïnis percuta le violeur. Le combat qui s'en suivit fût sanglant. Malheureusement, Maïnis n'avait pas la science guerrière de son ennemi et succomba sous ses coups après que ce dernier l’ait castré comme un porc.
L'homme reprit sa besogne et une fois satisfait, taillada la pauvre enfant, laissant une dépouille méconnaissable.
La pluie commença à tomber, sortant Maïnis de son inconscience. Il releva péniblement la tête et vit le corps gisant de Sianis. Puisant dans ses dernières forces, il se traîna jusqu'à elle, puis soulevant son corps, la déposa dans la source.
Le Grand Saule semblait pleurer toutes les larmes de la terre.
Alerté par l'absence de sa fille, Grantix découvrit trop tard le carnage...
Les corps de Sianis et Maïnis furent enterrés au pied du Grand Saule.
Depuis ce jour, nul homme ne peut approcher la Source du Grand Saule sans perdre sa virilité.