Le quartier d'habitation fouillé de Corent a récemment livré deux fibules en or – sortes de broches servant à tenir ensemble deux pans d'un vêtement – en provenance de Rome. "Dans toute l'Europe, on n'en a retrouvé qu'une dizaine, raconte Matthieu Poux. Ces objets étaient offerts en cadeaux diplomatiques aux personnalités les plus importantes. Même à Rome, elles n'étaient portées que par des personnages de haut rang : officiers, magistrats et, un peu plus tard, empereurs… Elles montrent la richesse et l'importance politique de ceux qui ont vécu ici."
Ce n'est pas tout. Dans le sanctuaire, les fouilleurs ont aussi retrouvé une quinzaine de crânes de carnivores – renards et parfois loups ou chiens. Une bizarrerie : "Ces animaux sont rarement retrouvés dans les sanctuaires gaulois", indique Matthieu Poux. De là à en déduire l'identité des individus qui vivaient ici au IIe siècle av. J.-C., il y a un pas. Un pas peut-être franchi avec une autre découverte faite sur le site : celle de nombreuses monnaies à l'effigie d'un renard ou d'un loup et dont les archéologues sont sûrs qu'elles ont été frappées in situ, comme le montre le nombre important de ratés de frappe. Voici donc la dernière pièce du puzzle : "Nous savons grâce aux historiens grecs et romains qu'un grand roi du nom de Luern a régné au IIe siècle avant notre ère sur le pays arverne et qu'il y a fondé une dynastie, explique Matthieu Poux. Or “luern” signifie “renard” en langue gauloise… Pour moi, ce que nous avons trouvé à Corent n'est autre que le grand sanctuaire dynastique de ce personnage."
Voilà qui pose un problème. Celui de la célèbre bataille de Gergovie, en 52 av. J.-C. Au XIXe siècle, sur la foi d'études de la toponymie des lieux et de fouilles archéologiques organisées par Napoléon III, le plateau de Merdogne – tout à côté de Clermont-Ferrand – est rebaptisé Gergovie. Mais si le pouvoir arverne était en réalité à Corent, pourquoi César aurait-il alors mis le siège ailleurs, à Merdogne, à plusieurs kilomètres au nord ? La solution est peut-être plus complexe… "Les fouilles de vérification menées au milieu des années 1990 autour du site officiel de Gergovie ne laissent pas de doute : c'est bien là qu'eut lieu la bataille, admet le fouilleur de Corent. Mais on peut penser que le développement de la ville gauloise a pu être multipolaire : la grande capitale arverne pourrait avoir été ­formée autour de trois pôles distants de quelques kilomètres : le premier, politique et religieux, à Corent, le deuxième, militaire, à Gergovie, et le ­troisième, plutôt artisanal, à Gondole…"
Du coup, le tout pourrait être ce que le géographe grec Strabon (vers 57 av. J.-C. - 20 ap. J.-C.) nommait Nemossos. Et que, par paresse ou par habitude, on assimile souvent à l'actuelle Clermont-Ferrand. "Selon Strabon, la capitale des Arvernes ­s'appelait Nemossos et la Loire y coulait, dit en effet Christian Goudineau, l'une des figures tutélaires de l'archéologie française, qui porte un œil bienveillant sur cette théorie. Mais on peut penser que Strabon a confondu la Loire avec l'un de ses affluents, l'Allier, qui se trouve précisément passer au pied de Corent…" En outre, les fouilles montrent que la ville a été subitement abandonnée vers 50 av. J.-C., au moment de la défaite gauloise. C'est-à-dire au moment où le pouvoir politique se délocalise dans les camps militaires romains… Les conquêtes modernes montrent, elles aussi, les palais de dirigeants vidés et désertés une fois leur défaite consommée ; le cœur battant de Bagdad n'est-il pas aujourd'hui la fameuse "zone verte", où sont concentrées les forces vives de la coalition victorieuse ?
Gergovie, Corent et Gondole, trois sites pour une même ville ? L'idée est iconoclaste autant qu'élégante. Mais elle ne suffit pas à expliquer les étonnantes découvertes faites au pied de l'oppidum de Gondole, le troisième grand site arverne connu à ce jour.