Je suis Myrdhinn
Qu'est devenu ce monde pitoyable que les hommes parcourent ?
Je me rappelle l'avoir quitté à l'aube, les yeux amplis d'amour :
La fée m'avait frappé de ses charmes, usant de sorcellerie.
Quelle importance pour les frêles et jeunes enfants qui avaient ri ?
Et pour ces vieillards ridés dont c'était déjà le crépuscule...
La fée aussi avait ri, elle s'était moquée de moi, pauvre somnambule.
Je luttais, fragile esquif, face à l'ignoble orage de nos sentiments,
La mer de mon destin ainsi refermait sur mon âme ses tourments.
Ses abyssales profondeurs m'ont aspiré jusqu'en un piège de cristal,
Une prison d'oubli logée dans ses méandres intemporels et cannibales
Au cœur d'une futaie de bouleaux, de saules et de chênes sans âge,
En Brocéliande, où ailleurs, qui saurait le dire ? Serait-ce bien sage ?
Les sillons de ma peau sont autant de ravins qui rappellent l'hiver,
Et le blanc de mes yeux est plus noir que le vertigineux abîme stellaire ;
Les cheveux qui couvrent mon crâne sont autant de chemins sinueux
Qui courent vers les possibles, les rêves, les cauchemars les plus insidieux...
Mes mains ont touché les sommets enneigés de pics si escarpés
Que seules s'y posaient, de puissantes et irréelles créatures ailées.
Je ne cherche pas la complaisance, je ne suis pas une victime,
J'ai été puissant parmi les puissants, adulé par des foules anonymes,
Ma sagesse a été chantée et les paroles de ma bouche répétées,
Par les souverains aux mèches dorées dans des tours argentées,
Sous les flots translucides de fleuves aux sablonneux rivages,
Dans des contrées peuplées de Pictes hirsutes et sauvages.
Le monde m'était connu avant même que vos ancêtres n'y marchent,
Il n'était que limon fangeux où se vautraient des créatures qui crachent,
Des dragons qui chauffaient les écailles de leur ventres livides
Aux flancs rocailleux des volcans, leurs yeux perdus dans le vide.
Les nuées célestes touchaient le faite des arbres d'une voûte
Reliant l'horizon à d'improbables univers dont on devinait les routes.
La stupéfiante et exquise majesté des cités d'or d'Hy-Brazil
Etait alors voilée d'un brouillard les préservant de tout péril.
En leurs murs de marbre aux milles portes d'onyx et d'airain
Trônaient les conquérants Atlantes, terribles démons marins,
Ils attendaient pleins d'ennui la dévastation et le carnage,
Je leur avais annoncé le déluge et la fin absolue de leur lignage.
Je fus le souffle sifflant des sylphes dans les ramures du cerf,
La joie des elfes et les cornes d'hydromel qu'ils levaient, fiers,
Lorsqu'ils célébraient, sous les yeux de la déesse de la nuit,
La jeunesse de la terre ; la lande était verdure, harmonie,
Quand les fils des hommes, race maudite, n'avait encore corrompu
Le sang des miens en traînant dans leurs lits nos femmes nues.
Le Bel Encorné vengea notre race, couvrant de son obscurité
Et de sa semence celle qui à ma naissance accepta ma réalité,
Elle, qui du doigt fut montrée, et d'un châle de calomnie couverte
Pour n'être en fait que la clef laissant de Faerie la porte ouverte.
J'étais enfant barbu, fils d'une vierge et du terrible dieu cornu,
L'amère réalité d'un présent écho d'un passé presque disparu...
Je suis le saumon qui remonte la rivière à sa source,
Je suis l'étalon qui, tel le tonnerre allonge sa course,
Je suis le sanglier qui se régale de glands sous le chêne séculaire,
Et aussi le chaudron, la faucille coupant le gui, couronne de lierre,
Je suis le miel des souvenirs, le fruit de l'amitié, ténèbres !
Je suis la sève du monde, le sang du dragon, chant funèbre.
Je suis Myrdhinn le sage, la conscience qui sème ses graines,
Je suis Myrdhinn le poète, la connaissance des mots qui peinent.
Je suis corbeau sur l'épaule de Setanta qui tua le dogue de Culhan,
Je suis baiser sur les rouges lèvres de Guenièvre au son du bodhran.
Je suis Myrdhinn le druide, détenteur des charmes secrets du bois,
Je suis Myrdhinn le dément, pierre dressée qui domine les rois.