Le Chêne de Vérité
Allongé à l'ombre d'un chêne plusieurs fois centenaire, la brise m'a soufflé ses vérités. Les paroles qu'elle n'a pas dites, le vieil arbre me les a
faites comprendre, juste de son immobile majesté.
Son tronc, énorme, aux courbes toutes nouées m'a ouvert les yeux. Je suis aveugle et pourtant ce géant au feuillage hirsute m'a fait voir ses trésors cachés. Il n'est pas arrivé du jour au lendemain. D'un gland, fruit de la connaissance qui aurait pu nourrir une laie ou trois sangliers, il
est apparu, puis lentement s'est extirpé.
Le souffle coléreux du vent, les flots ravageurs de mille pluies n'en sont pas venus à bout.
Patiemment, pouce après pouce, il s'est développé. Il a grandi et après
chaque saison, plus profondément, a enfoncé ses racines. Chacune
d'entre elle a plongé dans cette terre que ses feuilles ont nourri de
leur automnale putréfaction. Tous les jours, siècles après années, ces
petits tentacules végétaux se sont étendus, asseyant un peu plus
l'arbre dans sa splendeur. Les pièges que les pierres tendaient ont été
déjoués, contournés avec une patience toute sylvestre.
Les ranchages se sont déployés, révélant leur manteau d'émeraude à la
parure sans égale, couvrant le sol d'une ombre bienfaitrice. Chaque
ramure a pris le temps de s'étendre, un peu plus loin sur les côtés, un
peu plus haut vers le ciel, offrant leur solidité aux pies, leur amitié
aux pigeons et aux corneilles.
Le tronc est tordu, d'un diamètre admirable, veiné de myriades de sillons qui content l'histoire du monde. Combien de générations sont passées devant ce magistral titan ?
Combien de couples se sont aimés sous ses bras accueillants et
protecteurs ? Combien de cerfs et leurs compagnes au pelage si doux
sont venus s'y frotter ?
Je ne le sais, je ne saurai l'imaginer.
Ce que je sais c'est que ce vénérable vieillard m'a parlé. Il ne m'a
rien dit, il m'a juste fait comprendre. Il est là, il est beau et fort,
robuste comme un menhir de bois qui chante sa douce complainte sous la
lune, les étoiles, et subit la caresse du soleil. Maintenant je sais
que ma vanité fait de moi un être misérable, sa splendeur est là pour
me le rappeler. J'ai compris quelle créature méprisable je suis,
couvert d'orgueil alors que lui est une parure divi[/color]ne sans lest de
suffisance inutile. Merci à toi l'arbre, merci à toi, ô Chêne de Vérité.
Oui, c'est bien vrai, cet arbre est sacré, les Druides y ont cueilli le gui,
les assassins et les brigands y ont été pendus après que les rois, à
ses pieds, aient rendu justice. Aujourd'hui je fais amende honorable,
je suis coupable. A tous veuillez excuser la bêtise et la méchanceté,
j'étais aveugle, j'étais sourd. Maintenant, agenouillé devant ce
souverain à la couronne de jade, sans attendre de pitié, j'implore
votre pardon.