Le chant de Gwyrd.
Je t'ai vue fouler le linge au bord de la rivière.Tu jouais avec ta soeur,batifolant dans l'eau,vos rires cristallins comme une douce musique en mon coeur.Je n'avais jamais osé m'avancer,et suis resté là,tapi à l'orée de la forêt,à vous observer.Le dos voûté,ocuppées à vos tâches domestiques,vous étiez comme deux biches venues vous désalterer sur la rive.Puis vous avez posé vos paniers sur vos têtes altières et je vous ai suivies du regard jusqu'à vous perdre.
Le lendemain,à l'aube,j'arnachais mon cheval pour partir au combat.En me recouvrant le corps de nos peintures de guerre,je regardais mes mains.J'imaginais à chaque fois que j'opérais ce rituel,que mes membres, dans quelques heures, pourraient ne plus être animés d'aucune vie.Peu m'importait.Je n'avais pas peur car s'il en était ainsi,j'entamerais le voyage vers le paradis promis par nos Dieux,où il n'y avait de place que pour la beauté,la musique et le plaisir.Je festoierais au banquet éternel,et le temps et la souffrance ne seraient plus.Mais ces mains,les doigts sérrés sur le pommeau de mon glaive,voulaient pouvoir caresser l'ovale de ton visage.Avec l'espoir de t'étreindre un jour,de t'enlacer de mes bras,j'observais la ligne ennemie,plus fort que jamais.Je levais la tête au ciel,avec la volonté de rendre honneur à nos héros.J'attendais le signal,et dès qu'il fut lancé,dans un hurlement puissant,je talonnais mon cheval et me jetais dans la mélée.
L'animal,les yeux hagards roulant dans leurs orbites,le pelage brillant de sueur, pietinait de ses sabots les hommes qui, déjà, s'écroulaient à terre.Mon glaive,tel l'épée magique de Fergus Mac Roich,décapitait tous ceux qui se lançaient à l'assaut de ma monture.Dans un tumulte incessant,où les cris sinistres de douleur et de rage se melaient au choc des armes contre les boucliers,aux sifflements des flèches,j'avançais sans relâche.Chaque giclée de sang fouettant mon visage aliénait mon esprit,réveillait l'instinct sauvage de mon âme.Je ne sentais plus les pointes acérées des lances tailladant mes cuisses,les coups portés sur mes épaules par les masses de nos adversaires,et lorsque nous les vîmes détaler,nous les poursuivîmes en les insultant,faisant tournoyer nos armes au dessus de nos têtes,fichant nos lances dans le corps des bléssés agonisant.Mes compagnons poussaient des cris de joie.Les hommes à pied dansaient et couraient tandis que les cavaliers entamaient le chant de la victoire,leur montures se cambrant puis repartant au galop dans de merveilleux hennissements.Les messagers de Morrigan pouvaient dès lors apprécier l'offrande,ces montagnes macabres de corps,ceux de nos vaillants guerriers et ceux de nos vils ennemis.Leurs becs viendraient bientôt piquer les chairs et leurs plumes noires se colleraient au sang encore fumant.
Je revenais auprès des nôtres,les têtes de nos adversaires trophées pendus à nos selles,fier mais comme assommé après coup par ce combat.Durant le trajet,je n'avais plus qu'une idée en tête.Le jour suivant,je retournais donc à la rivière.Je n'y trouvais que ta soeur au milieu d'autres femmes.Sans hésiter cette fois,je lui demandais de m'amener auprès de toi.Elle acceptait mais me priait de la rejoindre dans la soirée à ce même endroit afin de me conduire dans la maison de ton père.Arrivé là-bas,je te revis.Tu étais là.Tu confectionnais des galettes pour la fête de Beltene.Il a suffit d'un regard paternel pour que tu comprennes qu'il te fallait sortir de la pièce.Je n'oublierais jamais le moment où tes doigts éffleurèrent les miens pour écarter l'étoffe de l'entrée,la lumière du soleil posée sur les boucles cuivrées de tes cheveux.Je saluais ton père qui m'invita à prendre place devant lui.Ta soeur nous offrit à boire et sortit à son tour.J'expliquais les raisons de ma visite et louais ta beauté.Je te voulais comme épouse s'il y consentait.Il me souriait et m'écoutait,l'air un peu détaché devant la fougue de ma jeunesse,et m'expliqua que ses filles comme feue leur mère étaient impétueuse et fières et que son seul consentement ne suffirait point à me satisfaire.L'élue de mon coeur devrait accepter également cette union,arguant du fait qu'il n'était plus qu'un vieillard sans autorité et qu'il avait trop d'amour pour ses douces enfants.
Je le remerciais et partais immédiatement à ta recherche.Ta soeur sans un mot,me montra du doigt la direction des plaines alentours où s'élève le cromlech et où chantent les oiseaux de Rhiannon.J'avais l'impression de comprendre ce que ces derniers,par leur piaillements, avaient à me dire:ils me montraient le chemin des pierres dréssées.Tu te tenais là,debout,ton ombre étirée dans la lumière rouge du crépuscule.Je te vis essuyer rapidement une larme avec le pan de ton châle brodé.Je ne savais alors plus si je devais te parler ou tout simplement rebrousser chemin.Mais tu t'es assise dans l'herbe et tu as esquissé un sourire.Ces premiers mots furent pour toi:
"Ebrein,fille de Bladud,tu me vois poser le mors aux dents de mon cheval afin qu'il suive le chemin que je lui impose.
Peut-être crains-tu lui ressembler un jour si tu deviens mienne?
Tu me vois aiguiser la lame de mon épée,afin qu'en la façonnant ainsi,elle me serve mieux.
Peut-être crains-tu lui ressembler un jour si tu deviens mienne?
Tu vois pleurer et gémir les femmes de nos compagnons tombés au combat.
Peut-être crains-tu leur ressembler un jour si tu deviens mienne?
Mais sâches que je te laisserais marcher libre à mes côtés,que je t'aime telle que tu es et que la force de cet amour subsistera au delà de la mort,si tu acceptes de devenir mienne."
"Gwyrd,fils d'Assarach"m'as-tu répondu,"si d'aventure tu devais suivre les chiens d'Arawn,Roi de l'autre Monde,pour séjourner en son royaume jusqu'à en perdre le souvenir de mon image,je foulerais la terre jusqu'à ses confins,emprunterais tout les dédales,franchirais tout les ponts qui me mèneront à toi afin de te sauver.Marche au devant de moi,je te suivrais,car mon coeur conforte ma raison."