Mon bras a été tranché, ma royauté m'a été enlevée… O dieux de mon peuple, je vous remercie d'avoir été si bienveillants avec moi. Plus que la vie, c'est mon honneur que j'aurai pu perdre et jamais aucun de mes descendants n'aurait évoqué mon nom avec fierté. Pour tous je suis mort au combat, effaçant les fautes d'une vanité qui n'était pas mienne… Vous m'avez pris ce bras mais grâce à vous j'ai retrouvé la face et même si je ne suis plus suzerain de mon tuath, c'est avec ravissement que je vous honore.
Je suis Fitz Mac Breodan, fils de Urien Mac Breodan, descendant de Uaithne et Niamh du clan des Sangliers Rieurs, eux même descendant de Ruadh Ar Arzel, huitième fils de Nemed. Toute ma vie n'a été que combat pour l'honneur des miens, le respect de nos traditions et la protection de la Pierre du Foyer de mon tuath. Plus de vingt fois sept Gaiscedachs auraient pu mourir sous mes coups ou finir avec au cou le collier des esclaves, avec pour seul fierté, celle de pouvoir encore pleurer leur liberté passée. Au lieu de cela, à tous, selon les codes de nos ancêtres, je leur ai accordé la fraternité de l'épée. Reconnaissants et en leur âme et conscience, avec leurs suivants ils ont rejoint les rangs de mes guerriers. Tout au long de ma vie, j'ai fait mes offrandes à Dagda, Morrigan et j'ai offert des présents aux Druides, même à ceux des peuples que j'avais dominés. Les seules têtes qui ornaient ma demeure étaient celles des faibles qui n'honoraient pas les règles de la loyauté au combat ; les lâches, les fourbes et les traîtres. Je les ai vaincus mais n'en ai tiré aucune joie, car un roi ne tire pas son renom à écraser des serpents.
Je vous encense O Dana et Morrigan, Lugh et Creidne pour m'avoir ôté ce bras qu'un bouclier de malheur ornait. Je vous rends grâce pour ce jour béni où mon ennemi Bran Mac Slough, suzerain du Vindo Gorsedd m'a loyalement défait et que dans sa grande miséricorde, inspiré par vous, son épée a sectionné la cause de mon malheur. Car j'étais le porteur du bouclier d'Elcmar, artefact de jalousie et d'envie. Mille fois je m'étais maudit pour l'avoir trouvé et autant de fois j'ai voulu m'en débarrasser… Las, la volonté de cet artefact maléfique était bien plus puissante que celle de votre faible serviteur. Combien de fois, alors qu'il guidait mes conquêtes selon ses envies et des desseins qu'il ne m'était pas permis de comprendre, ais-je pu prendre de force les fières épouses de mes adversaires pour les soumettre. Sans regret, sans remord, juste par envie et concupiscence. Ce bouclier était ma fierté mais aussi ma damnation quotidienne… Celle de l'homme qui ne peut résister à ses plus vils instincts. Celle de celui qui guidé par les voix de démons d'un autre âge, ne pouvait faire que de servir Tanavenn. Celle qui m'a poussée à tuer mon propre frère car il s'interposait, ne cherchant qu'à me faire ouvrir les yeux.
O amputation heureuse, comme ce jour fut beau, lorsque perdant le bras porteur du malheur, j'ai retrouvé la liberté. Lorsque Bran Mac Slough m'a vaincu. Lorsque j'ai cessé de porter ce fardeau… Le bouclier d'Elcmar fut jeté au fond d'un abîme sans fond. On m'a laissé agonisant, en proie aux loups, baignant dans mon sang. Je me souviens encore, vautré dans la boue, à mi chemin du Sidhe, moribond parmi les dépouilles de mes braves… Je me rappelle cet instant de jubilation intense, quand ont défilé les cohortes du conquérant. Hordes de farouches guerriers au sourire carnassier, porteurs de glaives ensanglantés et de torques dorés flamboyants, la peau tatouée et balafrée… Ils m'ont ignoré, gisant au milieu de mes frères. Certains m'ont piétiné. Je ne leur en voulais pas, d'ailleurs le seul souffle qui m'habitait encore était à peine suffisant à maintenir ma carcasse en vie. Malgré cela, je jubilais de savoir que ma libération était venue. Je savais que mon royaume était perdu, que mes richesses et mes esclaves étaient celles de Bran. Mais la malédiction était levée. Aujourd'hui, je suis vieux, la vigueur m'a quittée, tout comme ceux que j'ai aimés. Je vis seul au milieu des bois, me nourrissant de baies et de ce que me laissent les animaux, buvant l'eau des sources. J'erre sans fin, sans but, avec pour compagnon un corbeau et le souvenir d'un passé glorieux. Je fuis les hommes et je me terre comme un renard traqué. Mais je remercie les dieux de m'avoir libéré, je les vénère avec ferveur pour m'avoir rendu le droit de choisir ma destinée… Je sais que le Sidhe sera bientôt mon prochain séjour, enfin je retrouverai mes frères. Enfin nous chevaucherons à nouveau dans les plaines verdoyantes, enfin ils pourront me pardonner.